Stravinski Le Sacre Du Printemps - Petrouchka Lso Rozhdestvensky - Ni5714 5

De la musique de sauvage avec tout le confort moderne ». La fameuse formule de Debussy au sujet du Sacre du Printemps trouva en 1987 une nouvelle et digne illustration dans l’enregistrement réalisé par Rozhdestvensky au Colosseum de Watford, à l’acoustique exceptionnelle, mondialement reconnue. La prise de son n’est pas seulement flatteuse mais consciente de l’enjeu d’y consacrer la démoniaque et hypnotisante précision de l’avant-garde stravinskienne. Les fortissimi claquent ici comme des tons fauves tandis que martèlements dionysiaques et détachements de cuivres féroces ou de cordes solennelles ouvrent et aiguisent l’appétit de l’ouïe comme certaines toiles surgissent pour dévorer l’espace embrassé par le regard. Puissamment sensuel dans le déploiement de l’arsenal de couleurs des trois ballets inaugurant le vingtième siècle, l'art de Rozhdestvensky ne cesse cependant de se préoccuper d'architecture. Il en est des jeux de timbres et des sinuosités d’arabesques comme des procédés alchimiques : leurs vibrations et leurs mouvements fascineront d’autant plus qu’un état final, qu’une résultante paraîtront suspendus comme de fragiles éventualités. Mais le plaisir esthétique ne naît qu’avec la conscience que tout autant nécessaire que la résolution des tensions est le jeu qui consiste à la retarder ou l’avancer. Ainsi se comprend la manière délibérée de Rozhdestvensky de contrer toute prévisibilité, de se jouer de nos attentes esclaves de l’habitude. De l’inédite (impossible de confondre avec d’autres interprétations !) et déconcertante pétrification de lave du mouvement dans la contemplation analytique de la Danses des adolescentes, moment davantage porté sur l’intensité de la présence corporelle que sur l’ivresse du rythme, aux éruptions qui en auront raison, chaque alerte, chaque collusion participe d'un tout comparable au lit d'une rivière conteuse et lyrique, chargée de matière signifiante mais qui jamais n'échappe à sa direction, unique et nécessaire, dût-elle se découvrir torrent. Magnifiées par l’équilibre idéal entre émission et réverbération du son, les fulgurances des contrastes de dynamique ne sont qu’une des expressions les plus immédiatement perceptibles de cette loi du mouvement, la danse, structurant les œuvres en profondeur. Clair-obscurs innocence-cruauté, arabesques-arêtes, autant de cartes dans le jeu que Rozhdestvensky organise avec toute la malice du génie. Désarmé par sa fraîcheur et sa naïveté de primitif, on se souvient alors que « le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté ». (Pascal Edeline)