 Rien n’est complexe au piano, et pour les pianistes, comme la Sonate-fantaisie de Schubert. Tout un monde à demi-effacé y crée un imaginaire sonore singulier, sonate des ombres, dont le caractère fantasque transparait même derrière l’anodin ländler qui lui sert de Menuet. Les accords murmurés dans le fond du clavier donnent le ton dès la première page, Andrea Lucchesini s’engage dans cette nuit de sons, en soupesant le chant ténu, mesurant ses couleurs de crépuscule. Si ce n’est pas d’un schubertien consommé ! Cette maitrise du temps, cette conscience de l’espace pour saisir l’un des plus longs mouvements de Schubert à son piano. Le demi caractère du final est si bien saisi ici, pas du tout ce revers des étrangetés des trois mouvements qui l’auront précédé, mais comme une danse d’elfes dans un paysage classique qui finit par flirter avec un étrange un peu surnaturel : Füssli peint ce décor. Le plus étonnant de ce nouveau volume qui semble hélas le dernier du voyage d’Andrea Lucchesini dans les ultimes opus pianistiques de Schubert, est bien qu’il y ait deux pianistes. Adieux les doigts effleurant et la poésie de clair de lune, le sombre ut mineur qui jette ses accords de tempête ouvrant la Sonate D 958 fait paraitre dans ce piano, profus comme une sapinière, un Roi des aulnes. Andrea Lucchesini la joue sévère, dangereuse, se garde bien de la fièvre que Sviatoslav Richter y mettait, la laisse se tendre peu à peu vers l’inexorable. Quel Allegro ! qui à force de retrait sait créer la terreur. L’Adagio déploie son récitatif sans espoir, comme esseulé, avant que le Menuetto papillonne, irréel ballet d’un clavier d’ivoire qui montre un bal fantasque. Le final, et son ganymède dansant pour échapper au rapt n’aura pas l’emballement amer que Richter y imposait, mais en doigts impondérables, préservant la fuite, il connaitra un raptus saisissant aux dernières mesures. Vraiment, Andrea Lucchesini aurait tort de nous laisser orphelins d’autres Schubert qu’il pourrait nous donner, d’autant qu’il a enfin trouvé chez Audite un Steinway, une salle, un preneur de son, une équipe éditoriale à la mesure de son art. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)  In the concluding volume of his three-part series of Franz Schubert’s late piano works, Andrea Lucchesini turns towards two highly diverse works: the Sonata in G major (D. 894) which gently dies out, and the dramatic Sonata in C minor (D. 958).
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