Sviatoslav Richter fut-il plus fou jeune que parvenu au grand âge ? Ou plus sage ? Ou l’inverse ? Son "Caprice sur le départ de mon frère bien aimé" semble saisir toute la complexité de sa psyché. Le babil du début, très brisé, a quelque chose de désespéré, la sonnerie qui suit saisit, mais pas autant que le choral, où cette main gauche, mordicus, a le premier chant. Quel génie de la caractérisation, qui comprend que la psychologie du clavier est dans sa polyphonie et quels jeux des timbres par le seul toucher ! Ces dix petites minutes me changent de ce que Richter m’inspira souvent dans Bach : de l’ennui. Une petite cantate, avec pour finir un alléluia puis deux danses. C’est génial. Toutes ces perles assemblées dans les deux disques proposés par Leslie Gerber me font songer à la beauté mélancolique du visage du jeune Richter dont je n’ai retrouvé l’expression que sur les traits de celui du jeune Glen Gould. Les Beethoven sont encore un peu tendres, mais le toucher déjà unique avec cette alliance de fuligineux et d’avide, et pour le sens de la forme la 3e Sonate est assez miraculeuse. Complètement braque, le "Liebesfreud" de Kreisler/Rachmaninov fait saillir soudain un autre visage de Richter : là où tant d’autres feraient du charme il grince, amer, acide, probablement pas si loin de ce que Rachmaninov y voyait mais prenant les sous entendus pour en faire des vérités, plus !, un manifeste. Vous savez quoi ? C’est à nouveau génial. Une Fantaisie de Schumann anthologique, tombeau dont on voit la structure dont on perçoit les affcets, deux fois la Sonate BWV 963 de Bach, et puis, addendum, trois « bis » pour le concert en hommage à Konstantin Igumnov deux Rachmaninoff , les feux-follets du Prélude op. 32 n°12, et la Mélodie opus 3 n°3, déchirante à force de pudeur. Mais pour finir, le vrai visage de Richter reparait, avec les plus sinistres "Cyprès de la Villa d’Este" que j’ai jamais entendus, vrai arbre de cimetière où gémit l’âme des morts. Génial. (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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