 Sergiu Celibidache dirigea souvent l’Orchestre Symphonique de la Radio de Stuttgart au cours des années soixante dix, rendant l’œuvre d’orchestre de Ravel familière à cette formation caméléon. A Baden-Baden, Ernest Bour faisait de même. Aujourd’hui Stéphane Denève reprend ce flambeau. Ses Ravel sont de plein orchestre, sculptés dans les timbres, sans l’allégement, les transparences que les phalanges françaises, américaines ou anglaises y mettaient du temps des Paray, Munch, Monteux. Plus proches par la saturation des couleurs et la sensualité du discours de ceux d’Ingelbrecht ou de Cluytens avec les formations parisiennes. Sommet de deux premiers disques de cette intégrale, le ballet complet de Ma mère l’oye, joué ample, avec tous les raffinements du conte jusque dans l’étrangeté des Entretiens de la Belle et la Bête où perce une pointe de fantastique. Tout le second volume est d’ailleurs à marque d’une pierre blanche, qui présente la rare « première » Shéhérazade. Ravel la sous titre ouverture de féérie, notion que Jean Martinon prenait jadis à la lettre dans sa gravure princeps avec l’Orchestre de Paris, comme le fait exactement Stéphane Denève, y narrant un conte un rien plus noir. Une barque sur l’océan creuse l’espace harmonique avec science, la Pavane pour une infante défunte est prise d’un tempo fluide, comme le Menuet antique. Ici rien ne veut s’appesantir même si l’orchestre ne joue jamais sur les pointes. Défaut qu’hélas accentuait le premier volume : une Valse pas assez dessinée, une Alborada del Gracioso où manque le mordant des timbres, un Tombeau de Couperin presque trop pudique, une Rapsodie espagnole sensuelle mais un rien placide, cela m’inquiétait jusqu’aux premières mesures du Boléro, et là, tempo giusto, mécanique parfaite, gradation des dynamiques, éventail de couleurs, tout y était, Ravel de retour chez lui, comme si le souvenir de Celibidache revenait hanter la Liederhalle de Stuttgart (Discophilia, Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)  Stéphane Denève est de ces chefs qui poursuivent une carrière remarquable balisée par des enregistrements souvent pertinents. Il ne rate jamais un disque. L'entendre aborder Ravel dans ce premier volume qui comporte les œuvres phares (Valse, Boléro, Alborada...etc) augure d'un projet intéressant voire d'une réèlle surprise. La Valse est bigrement menée, alternant et levant chaque pupitres comme de la pâte (les harpes !) afin d'enfler la partition comme elle l'exige pour finir par éclater en vapeurs chaudes et fumantes. Quelle maitrise de l'orchestre ! Et quel orchestre ! Le RSO de Stuttgart est parvenu grâce à Denève (et Roger Norrington avant lui) à un niveau d'excellence qui lui permet d'aborder les répertoires avec le même bonheur, la même suffisance. Il suffit d'écouter chaque mouvement du Tombeau pour déguster cette primeur. Langueur du Menuet et grâce du Rigaudon. Dénève est un magicien, un accoucheur de sonorités. Il révèle chaque partition d'une battue sûre (tempi au cordeau !) et compose avec chaque pupitre. Les merveilleuses couleurs de l'orchestration ravélienne ressortent comme éclairées de l'intérieur. Les timbres sont luisants. Les textures éclatent. Un vitrail. Jubilation d'entendre une Alborada si « grazioso », féline, sautillante, exaltée, pourvue enfin d'affriolants parfums d'Espagne. Le Boléro est dans sa coupe, ici taillée sur mesure, déjà une référence dans sa lecture graduelle et probe. Le disque lui même est d'ores à placer dans toutes les discothèques. En attendant le second volume ! (Jérôme Angouillant)

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