 Lorsque John Ogdon enregistra le Concerto-monde où Ferruccio Busoni résuma son univers, la critique s’enthousiasma, non pour l’œuvre, qu’elle railla, mais pour la performance du pianiste. La maldonne était consommée, on ne voyait plus dans cette vaste partition aux enjeux métaphysiques qu’un monstre de pure virtuosité destiné à briser les pianistes, ce à quoi Ogdon répondait par sa technique trempée. Il n’avait pas été le seul, Noël Mewton-Wood, aiguillonné par Sir Thomas Beecham, s’y était risqué au concert avec infiniment plus de poésie. Pourtant son interprète absolu restait méconnu. Le nom de Pietro Scarpini, un élève de Casella à la Santa Cecilia, n’était qu’un vague souvenir pour une poignée de mélomanes : sa grande sonorité ombreuse, la perfection de son jeu paraissaient dans un 4e Concerto de Beethoven capté en janvier 1952 lors d’un concert romain de Wilhelm Furtwängler, mais de disques point, et pas d’autres prises sur le vif publiées. Un ami me fit un jour le présent d’une cassette où Scarpini emportait d’un geste le Concerto de Busoni à Munich sous la direction de Rafaël Kubelik (voir ici). Stupeur et tremblement, tous les visages de l’œuvre paraissaient enfin et sur l’ensemble soufflait un esprit faustien. Cette virtuosité transcendée par un art visionnaire signalait un artiste de première force, mais l’arbre cachait la forêt, et d’abord deux autres enregistrements live de ce Concerto-Monde, centre du généreux coffret publié par Rhine Classics. A Cleveland, dans l’orchestre réglé au cordeau par George Szell, Scarpini arde son clavier, parvenant dans la Tarentella à une transe stupéfiante, alors qu’à Turin, sous la baguette dantesque de Fernando Previtali, la dimension philosophique s’impose dès les couleurs soufrées, le Prologue se drapant dans des sonorités mystérieuses. Impossible de choisir entre les deux versions, ni d’ailleurs de renoncer à l’enregistrement avec Rafael Kubelik. Ajout majeur à la discographie busonienne du pianiste, une lecture poétique de la Fantaisie indienne avec l’Orchestre du Mai Musical Florentin (Sienne, 1966). Les raretés abondent au longs de cette belle boite parfaitement éditée (comme d’habitude chez Rhine Classics le livret est une mine d’informations assortie d’une iconographie choisie), à commencer par un ensemble Scriabine (récital à la Fenice en 1963) stupéfiant dominé par un Prométhée démoniaque rappelant qu’il fut un interprète majeur de cet univers, dont les tempos, les phrasés, le maniement même du clavier font plus d’une fois penser à l’art de Vladimir Sofronitski. Une surprenante transcription pour deux pianos des Scherzos, du Purgatorio et du Finale de la Dixième Symphonie de Gustav Mahler où le pianiste recourt au re-recording, des pages de Dallapiccola où le rejoint le violon si expressif de Sandro Materassi, un Concerto in Rondo de Valentino Bucchi, complètent le portrait d’un virtuose avide de répertoire. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)  The Italian master pianist Pietro Scarpini played Bach's "Die Kunst der Fuge" from memory and was an early pioneer of Schönberg, Berg, Busoni, Dallapiccola and Hindemith. Until now his art remained almost inaccessible. Rhine Classics' complete collection will include 33 discs to comprehensively represent all the significant recordings left by Scarpini, many recorded privately.
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