 On est tellement habitués aux enregistrements routiniers qui font cohabiter le Concerto en Sol majeur de Ravel et son Concerto pour la main gauche ; on est tellement coutumiers d’oublier ou sous-estimer le Concerto en Mi mineur de Massenet (1842-1912), que c’est une intrigante surprise de les entendre ici réunis grâce à l’ingéniosité sensible d’Eloïse Bella Kohn. Jules Massenet, passé à la postérité comme compositeur d’opéra, a pourtant vu son Concerto pour piano interprété par des musiciens de la trempe de Louis Diémer, son dédicataire, puis bien plus tard Sondra Bianca, Adolf Drescher, Marylène Dosse, Idil Biret, Josef Bulva, Nathalia Romanenko, Aldo Ciccolini, Stephen Coombs et plus récemment Alexandre Kantorow. Comme le rappelle ici l’interprète, on ne cherchera pas la complexité d’une structure compositionnelle rigoureuse dans cette œuvre plaisante de 1902, qu’il convient d’appréhender à la manière d’une fantaisie, voire d’une rhapsodie, notamment en son troisième mouvement « Airs slovaques », lequel requiert une virtuosité ailée pour échapper au « sautillant, bruyant, cassant, vulgaire » que Saint-Saëns dénonçait en lui. Pari brillamment tenu par une interprète qui a auparavant irradié l’œuvre d’une sensualité aussi délicate qu’ensorcelante dans le mouvement initial, et qui a su conférer toute sa profondeur au Largo central. Bien connue, la partition de Ravel bénéficie des mêmes soins et de la même élégance de la part d’une pianiste qui, selon ses propres termes, « entre jubilation et vertige » fait joyeusement résonner « l’insolence » stimulante du Ziburutar exilé à Paris. Éloïse Bella Kohn sait parfaitement rendre le pétaradant et mémorable incipit « Allegramente » au fouet de son Concerto, la mélancolie obsessive de son « Adagio assai » et la fulgurance de son bref « Presto » final. Bref, une magnifique réussite à saluer comme il se doit, d’autant plus qu’inattendue, et à recommander très chaleureusement. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)

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