Voici bientôt dix ans, je découvrais une nouvelle intégrale des Sonates d’Eugen Ysaÿe par un jeune violoniste tchèque qui les jouait comme de la musique expressionniste. Oubliée la virtuosité, oubliés les arrière-plans symbolistes, ces partitions prenaient une très surprenante acuité moderniste. Depuis Josef Spacek a signé d’autres disques, un volume Ernst chez Naxos, un album de Sonate pour Supraphon, mais je ne retrouve son style plein de fantaisie, son archet si imaginatif que dans ce nouvel album. Ici, l’œuvre majeure n’est pas celle que l’on croit. S’il le jeune virtuose emporte avec panache le Concerto de Dvorak, forçant un rien trop sa veine lyrique, c’est la partition qui ouvre le disque, et en fait le signe, où il se surpasse : la Fantaisie de Josef Suk. Œuvre difficile, insalissable, qui resta longtemps la propriété du violoniste Josef Suk. L’auteur d’Asraël l’écrivit entre 1902 et 1903 pour Frantisek Ondricek, le créateur du Concerto de Dvorak, il la considérait comme une œuvre démoniaque, et sa fantaisie rapsodique invite souvent une dimension étrange, bien dans l’esprit des contes qui sera l’une des veines créatrice de son auteur, du Conte d’été à Maturation. Josef Spacek la joue sur le fil, la beauté naturelle de sa sonorité laisse place à un jeu imaginatif où la longueur de son archet fait merveille, tout comme dans le Concerto de Janaceck, déduit de son opéra « De la maison des morts » : le violon devient un personnage dramatique, mais le décor dressé par Jiri Belholavek est un peu anecdotique, factuel, surtout après les paysages et les atmosphères de la Fantaisie. Reste le Concerto de Dvorak. Je l’entends moins dit, plus dansé. Je le vois plus libre. Mais comment résister à la beauté de ce violon, au fruité du médium de cet admirable Vuillaume qui correspond si bien au jeu lyrique, subtil d’un violoniste décidément à suivre (Discophilia, Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
|