 Du Moyen-Age, l'instrumentarium (clavicymbalum à marteaux ou plectres voire tangentes, petit orgue...) est évidemment reconstitué. L'échiquier était un coffret à clavier et couvercle en damier, avec jusqu'à huit ou neuf cordes frappées. Il ne nous en reste que l'image sur un vitrail et la voûte de la cathédrale du Mans. Sorte de machine Enigma de l'époque : on pouvait même envoyer des messages codés selon les notes ! L'excellent ensemble Tasto Solo nous revient donc en puisant dans le tardif recueil dit de Buxheim, composé de transcriptions de chansons originales (parfaite soprano ici) ou de tablatures pour orgue. On y retrouve surtout (à la cour de Bourgogne) Gilles Binchois (ou de Binche, ou de Bins), qui fut un peu sous-estimé face à Guillaume Dufay et son art raffiné de la dissonnance. Lequel, pétri de musique liturgique, combina Ars Nova et harmonie anglaise à la Dunstable, tout en préfigurant le madrigal de la Renaissance, via Ockeghem ou Josquin des Prés. Le style franco-flamand de John Dunstable - auteur d'un Te Deum, et surtout de rondeaux et ballades assez mélancoliques - fit l'objet de beaucoup d'emprunts jusqu'à la fin du XVIème siècle. C'est le chantre même de l'amour courtois (Charles d'Orléans). Marqué par la musique italienne, il vit tout ce qu'il avait composé en Angleterre englouti dans la destruction des monastères. Citons encore Johannes Ciconia (ou Jean Cigogne), auteur d'un important traité pour ses élèves... et dont il se dit que le nom pourrait recouvrir deux compositeurs distincts. Mélomanes curieux qui voulez à cet échiquier votre chance lier, plongez-vous donc avec ravissement dans le doulcemelle (chant doux, dulce melos, du nom même d'un ancêtre de cet instrument) qu'est pareil enregistrement si envoûtant. Avec un livret musicologiquement passionnant, et nous donnant le texte des chansons : ''De vostre amour sui desireux Et tout mon vouloir s'y consent...'' (Gilles-Daniel Percet)  Gilles Binchois (c. 1400 – 1460) est avec les célèbres Guillaume Dufay (1397 – 1474) et John Dunstaple (c. 1390 – 1453) l’un des compositeurs les plus influents de la première moitié du XVe siècle. De ces trois, Binchois sera longtemps considéré par la musicologie moderne comme le représentant le moins important. Il n’aura pas eu la renommée légendaire de Dunstaple ou la large production internationale de Dufay. Pourtant, avec un répertoire conservé plus intime et moins connu, Binchois est un auteur essentiel pour la compréhension des changements esthétiques qui, après l’Ars Nova et l’Ars Subtilior, vont fixer les canons d’une nouvelle manière de faire la musique. Ses œuvres vont contribuer de façon décisive à instaurer un courant où les grands auteurs franco-flamands règneront en Europe, avec des techniques de composition qui seront suivies et développées par plusieurs générations de musiciens. Une partie peu approfondie de la vie de Binchois ouvre aujourd’hui des pistes pour une nouvelle exploration de son œuvre. Pendant les années 1410-1420 Binchois travailla en tant qu’organiste à la ville de Mons (Belgique) avant de rejoindre la fleurissante cour de Bourgogne. Les archives ont ainsi conservé la mention « maistre Ghile l’orghanistre ». On ignore s’il continua à développer cette pratique instrumentale le reste de sa vie. Mais, la recherche autour du manuscrit de Buxheimer, la source la plus importante pour les claviers au XVe siècle, révèle une donnée fort intéressante : Binchois est l’auteur le plus représenté, près d’une vingtaine de pièces sont des arrangements instrumentaux de ses chansons. On trouve également dans le manuscrit un important corpus de compositions de Dufay, ce qui réaffirme à nouveau les liens étroits entre la production de ces compositeurs franco-flamands et l’activité musicale des cours de l’Allemagne du sud vers la moitié du XVe siècle. Ce contexte est donc le point de départ pour un disque qui vient ajouter un nouveau chapitre au travail de Tasto Solo autour du manuscrit Buxheimer et l’école claviériste de Conrad Paumann. Après l’expérience et le succès international du programme « Meyster ob allen Meystern », l’ensemble entreprend une nouvelle aventure musicale autour des nombreuses versions instrumentales des œuvres de Binchois, Dufay et Dunstaple, ce trio sublime. Le travail d’expérimentation, adaptation et reconstitution pour une praxis sur les clavisimbala, orgues et harpes de gothiques, dont certains instruments reconstruits pour cette occasion, est complété avec la réalisation de certaines chansons dans leur forme originale. La voix se joint ainsi à Tasto Solo pour faire vivre la rhétorique des poésies, la beauté et la subtilité des mélodies, en apportant une nouvelle vision et expressivité au répertoire.

|