Bartok, Kodaly, Weiner, Dohnanyi. Ou plutôt dans l’autre sens. Car si ses cadets l’ont supplanté dans l’historie de la musique et dans le cœur des mélomanes, la musique hongroise du XXe siècle est née avec Ernö Dohnanyi. Longtemps le pianiste virtuose, puis le pédagogue éclairé, ont masqué le compositeur. La renaissance de ses œuvres a commencé en fait avec l’apparition du compact disc, conjecture heureuse entre une musique formidable et une nouvelle planète technologique. On put découvrir alors un catalogue symphonique de première ampleur, mais ce que j’ai toujours chéri reste sa musique de chambre et bien sûr son œuvre de piano. Les deux quintettes sont à mes yeux le sommet de sa production chambriste, plus que ses trois quatuors, et j’en attendais depuis longtemps une version qui leur rende justice. Martin Roscœ et ses comparses du Vanbrurgh Quartet avaient tenté l’expérience. Bien, un peu carré, un peu trop « symphonique ». Les Kocian m’y semblèrent univoques, le piano de Jaromir Klepac prosaïque et tapageur. Mais voila que Claves publie une version lyrique et puissante à la fois, dont le centre de gravité est assuré par le Trio Nota Bene –avec l’excellent pianiste Lionel Monnet – et qui se pare grâce à deux invités prestigieux, le violoniste Shmuel Ashkenasi, et l’altiste Nobuko Imai, d’une dimension poétique éclairante. Ce mariage d’un jeune trio et de deux instrumentistes au sommet de leur art fait merveille dans le Quintette en ut mineur, l’opus 1 du compositeur, que je surnomme toujours « le deuxième quintette avec piano de Brahms ». D’ailleurs Dohnanyi l’écrit clairement comme un hommage, on sait du moins d’où il vient, et bien des détails de l’œuvre, comme tout son sous-texte, disent où il va : les modes hongrois, à visages découverts ou masqués, abondent. Le Deuxième Quintette, sombre, intense, écrit en 1914, est un chef d’œuvre, une sorte de Requiem pour le monde d’hier – la valse de l’Intermezzo suspendue sans cesse vous tirera des larmes – c’est peu d’écrire qu’il est ici pour la première fois compris dans toutes ses ambigüités (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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