 Comment se faire une place dans la discographie si touffue des trios avec piano de Beethoven ? Versions historiques ou récentes, par des trios constitués ou de rencontre, le choix ne manque pas. Le Beethoven Trio Bonn propose deux réponses avec cette série de trois disques enthousiasmants. Le talent, d’abord : la sonorité de l’ensemble et la finesse de sa façon de dialoguer donnent aux « vrais trios » (les 2 op.70 et l’op.11) leur couleur hédoniste : des œuvres un peu frivoles et enjôleuses au possible, témoignant de ce que Beethoven devait avoir de redoutablement séducteur. Ce côté solaire est un régal, nonobstant les considérables versions déjà disponibles. Ensuite, une idée éditoriale réjouissante et pleine d’enseignements : coupler ces œuvres à des transcriptions pour le même effectif de partitions orchestrales ou concertantes. Aucune intention didactique guidée par la chronologie, la musicologie ou les tonalités : des associations libres, en quelque sorte. Et la surprise est là : sous la plume probable de Beethoven lui-même (la 2ème symphonie), du flûtiste Belcke (la « Pastorale ») ou de l’organiste Wilsing (le Triple Concerto), les œuvres passeraient presque pour des trios originaux ! Bien sûr, il faut oublier les couleurs orchestrales et l’affrontement des groupes d’instruments, qui donnent parfois aux originaux des allures du « Tres de Mayo » de Goya (les vents en chemises blanches, la masse oppressante des cordes et cuivres). On craint de n’entendre qu’un squelette des partitions, mais miracle il ne faut pas plus de quelques mesures pour ne plus y penser. Sans surprise c’est la « petite » Symphonie op.36 qui trouble le moins, sans doute moins familière à nos oreilles et de plus transcrite par l’auteur qui bien qu’hostile aux transcriptions (le droit d’auteur...) savait quel effet il voulait obtenir. L’op.68 est un défi majeur : les bords du ruisseau sont si plein d’oiseaux, de vent dans les hautes herbes… et pourtant ça fonctionne, grâce à des trésors de coloration (la façon du pianiste de suggérer les vents, par exemple) ou d’engagement (l’orage…). Avec l’op.56, je pensais toucher aux limites de l’exercice car une bonne partie du « concept » original repose sur l’opposition trio – orchestre. D’ailleurs d’autres transcripteurs (Reinecke) ont choisi de faire prendre en charge la contribution de l’orchestre par un second piano. Mais ici ceux qui comme moi trouvent que le « Triple » est un merveilleux trio alourdi par un orchestre inutile seront comblés ! Honneur aux trois instrumentistes : si l’original requiert déjà du trio des merveilles d’équilibre, la tâche est ici compliquée par la redistribution des parties : dès que le piano est soliste les cordes doivent se charger de l’orchestre et inversement, puis dans les tutti il faut faire masse au lieu de concerter (ce qui dans le premier mouvement alterne parfois au sein d’une même phrase). Très impressionnant tour de force… Le BTB nous donnera-t-il ensuite les symphonies 5, 7 et 8 disponibles pour le même effectif ? Je l’espère. En attendant voilà une surprise de taille, de très beaux interprètes et un vrai régal. (Olivier Eterradossi)

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