Pintscher Sonic Eclipse Montalvo Creed - 0013162KAI - Contemporary - by Kairos

Voilà un musicien qui s’est fait un nom assez rapidement des deux côtés du Rhin. On le connaissait par un CD (Teldec New Line), programme de pièces ambitieuses tirées de poèmes français (Rimbaud, Mallarmé) et d’un extrait d’opéra « Thomas Chatterton ». Belle gueule photogénique de dandy bohème, cravate dénouée, veste slim en daim, prunelles translucides (cf. la photo de notice). Matthias Pintscher, né en 1971 est un compositeur ambivalent, c’est le M du « Mein », le T appuyé et teuton et le « pop » mousseux et pétillant du bouchon qui saute (tssscher…). D’un côté, une écriture virtuose, pointilliste ; attentive aux timbres de l’orchestre et au jeu de l’instrumentiste. De l’autre : explosivité, microrythmie, l’obsessionnel et l’imprévisible, un souffle débordant, une énergie portée aux extrêmes. Pintscher a étudié auprès de Boulez, de Peter Eötvös et de Helmut Lachenmann. Ecoutez la prodigieuse cohésion temporelle et spatiale des trois mouvements de « Sonic éclipse » où le soliste (trompette et cor) est quasiment mis en scène de façon holographique. « A twilight song » d’après un poème de Cummings révèle une même préoccupation : Les sons défilent, circulent et s’organisent dans ce continuum spatio-temporel, traversés par une voix exilée, poussée à des paroxysmes peu habituels ; disons : outrés. Curieusement, la sophistication de la musique prime sur la « parole », le texte est manipulé, élastifié, comme un chewin-gum duquel l’arôme n’aurait pu être prélevé. Pintscher s’en explique, c’est l’instant saisi qu’il appréhende : « Un enfant qui ne saisit pas encore le sens d’un mot mais s’enivre à le répéter ». Instant d’amour dans ce chant du Hashem à Dieu, à Israël. « She cholat ahavah ani » de l’hébreu : Mort d’amour pour toi ». La note unique infuse tellement qu’elle se morcelle, se délite, se métastase (girations, suspensions, soupirs, bribes). Ecume blanche et mousseuse des voix de femmes poussées par le remous des voix mâles, elle se propage jusqu’à une acmé générale et extatique : « Das ist mein Geliebter, und das mein freund, ihr Töchter Jerusalem ! ». On atteint le rivage, encore éberlué par la pertinence de ce disque et l’oubli qu’il nous a révélé de nous-mêmes. (Jérôme Angouillant)