La couleur sonore, ce gris perle avec nuages que Busoni a inventé dans son piano pour y faire entrer l’orgue intime de « Ich ru zu dir, Herr Jesu Christ » par lequel Joachim Carr ouvre son disque est la même que celle choisie par César Franck, cet autre organiste, pour Prélude, choral et Fugue qui referme l’album. Un cercle parfait, de la mystique de clavier pure, dont les deux Légendes de Liszt seront les ancrages romantiques, récits sacrés beau comme des Piero Della Francesca que le jeune pianiste norvégien joue large et profond, les gorgeant de timbres plus que d’effets. Deux fils rouges qui se mirent l’un l’autre, les quatre Choral préludes priés ou chantés dans son piano par Busoni, débordés de couleurs par ce clavier généreux qui veut ignorer les marteaux, et deux Regards de Messiaen, la suspension étonnée du Regard du fils sur le fils, vaste poème dont le sujet est le silence, et le concert un peu flamboyant dans son tumulte de bruissement d’ailes du Regard des Anges, avec ses effets de gamelan si habillement rendus, et qui me laissent espérer qu’un jour prochain Joachim Carr enregistrera tout le cahier. Et Franck ? Sans trainer, en clavier immatériel , dans une lumière irréelle, vous entendrez le Prélude, choral et fugue différemment, si fluide, si serein, si détaché, reflet sonore des séances d’enregistrement sises dans une église sur une ile perdue au nord de la Norvège, lorsque le soleil n’y parait quasiment pas, avec pour seule lumière dans la ténèbre cet admirable piano dont la fiche technique d’un admirable Steinway dont j’aurais bien voulu connaitre ne serait-ce que le numéro. (Jean-Charles Hoffelé) This album features works by composers for whom the conception and creation of music was intimately bound up with a religious attitude towards the world. Before the birth of aesthetics in the 18th century, the symbolic or “external” meanings of music resided in the music itself; neither its expressiveness nor its purpose as an integral part of social and religious rituals were separated from a larger context of moral and spiritual considerations. In this sense, although their tonal languages and forms differ greatly, later composers such as Liszt, Franck and Messiaen followed the spirit of Bach, reflecting a musical philosophy in which musical means and theological ends were deeply intertwined, if not one and the same. What impact does a greater awareness of the symbolic realities of religious thought, which inspired the music in the first place, have on how we - the interpreter and the listener - hear the music, and what meanings we find within it? In the accompanying essay on the following pages, I offer some observations about the program and about art more generally from a philosophical and metaphysical perspective. I propose that the experience of art - which, like the religious experience, is an encounter with the world and the inexplicable - has the potential of challenging the boundaries between self and other. The recording of the album took place in the winter of 2020 in a church on the remote Lofoten Islands in Northern Norway. During the so-called mørketid - literally “dark-time” or dark season - the light which illuminates the skies from below the horizon for only a few hours a day holds a greater meaning. (Joachim Carr)
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