 La production musicale gigantesque de Weinberg n'était pratiquement ni connue, ni distribuée en Europe de l'Ouest jusqu'au début des années 2000. Elle se répand désormais sur tous les fronts de façon régulière, et le mélomane a pour certaines œuvres l'embarras du choix entre des versions concurrentes qui se multiplient (au moins 3 pour les sonates enregistrées ici). L'amitié constante, le soutien de Chostakovitch, le rôle d'éveilleur que jouèrent pour sa reconnaissance internationale de grands chefs ou interprètes (Rostropovitch, Berlinsky) ont contribué à installer durablement la réputation de Weinberg que ni les drames de l'Histoire ni la maladie, n'ont épargné. C'est à l'occasion de la célébration du 100e anniversaire de sa naissance que Tarasova, qui l'a connu de près, a été son interprète et la dédicataire de certaines de ses œuvres a enregistré ce CD. On ne pouvait évidemment rêver meilleure ambassadrice. Ces pages exigeantes, arides, poignantes, tirent un extraordinaire parti d'une grande économie de moyens. Proche souvent de la déploration noble mais rentrée, dense et elliptique à la fois, non dépourvue d'une sorte de lyrisme douloureux et tragique, cette musique exploite de petits motifs tendus, les varie, les répète, les soumet à des intensités différentes, les expose dans le plus grave comme dans le plus aigu de l'instrument en fait parfois des sortes d'appels pressants, qu'elle met à nu dans des pizzicati lapidaires, jusqu'à l'effacement et le silence. Les échos, les accents et les inflexions mélodiques de la musique de Chostakovitch, des bribes d'airs juifs sont perceptibles. Le tout prend parfois l'aspect d'un thrène sans effusion, dans la retenue. La seconde sonate a, quant à elle, des accents bartokiens. La troisième sonate offre un troisième mouvement qui se distingue de l'ensemble : il se montre bondissant, voire même gazouillant, comme donnant l'impression d'oiseaux jouant avec des brindilles. Le pizzicato s'y fait même primesautier. La quatrième sonate fait parfois penser à Britten, son allegretto agité, n'est pas pour autant dramatique. Un cd magnifique et très prenant. (Bertrand Abraham)

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