Jörg Demus fut le plus francophile des pianistes viennois, il lisait Verlaine et Rimbaud dans le texte, s’était désargenté en châteaux dans l’Indre pour y abriter ses pianos, pouvait converser raisonnablement dans la langue de Molière, mais surtout il connaissait son Debussy, appris auprès de Walter Gieseking, sur le bout des doigts. Quelle merveille de l’entendre ici transposer les paysages d’orchestre immobile du « Prélude à l’après-midi d’un faune » dans son piano versicolore, aux harmonies profondes, aux teintes chaudes, et comme Thomas Albertus Irnberger lui fait le plus sensuel des faunes, glissant son archet souple dans les pas de celui de Jascha Heifetz, entiché de l’œuvre au point de se l’approprier. Tout ce disque, que dépare seulement pour trois mélodies la petite voix au français discret de Christine Ometsmüller, nous plonge dans un salon proustien, plus enclin à rêver qu’à briller dès la « Habanera » de Saint-Saëns, où les deux amis évoquent le goût si parisien pour cette Espagne de fantaisie qui séduira aussi Ravel. Ecoutez avec quels raffinements ils dorent la courbe sinueuse de la « Pièce en forme d’Habanera » avec juste ce qu’il faut de langueur nostalgique. Le « Clair de lune » de Debussy, le « Rêve d’enfant » d’Ysaye, la « Berceuse » de Fauré, l’élégie sublime du 4e « Souvenirs » de Chausson sont d’autres moments de grâce de ce beau disque où Jörg Demus livre deux mélodies, élégantes et pudiques, dommage qu’elles n’aient pas trouvé une soprano plus affirmée que Christine Ometsmüller. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)