 Souverains poncifs de prime ou seconde accession, nous ne croyons guère à l'oiseau qu'on n'ouït jamais une autre fois dans sa vie chantant tout son esprit français sur son arbre généalogique. Et pourtant... il est des interprètes étrangers qui – faute d'avoir chopé le guilledou du presque-rien et du je-ne-sais-quoi - n'entrent pas forcément dans le pudique mais le vif, le secret mais le nerf de cette musique. Ce disque, intelligente anthologie, n'évite pas toujours ce défaut d'une battue en pompe à suspension caoutchouc. On retiendra une Mère l'Oye assez séduisante, mais légèrement en deçà de sa magie (jardin plus alangui que féérique). Hommage pétrifié à l'ancien esprit viennois, la Valse, par son absence de noirceur, ne laisse pas deviner l'abîme : l'écroulement d'un monde européen dans le tourbillon guerrier (comme dans le Concerto pour la main gauche). Surprise pour le Boléro. Première option, un rythme vraiment lent, mais hypnotiquement tenu jusqu'à la fin, évitant d'accélérer quand les pupitres s'étoffent (surtout pour la péroraison). On sait comme ce travers fréquent avait irrité Ravel contre Toscanini. Deuxième option davantage à discuter : priorité (en plus, tout dans un grand legato) à la mélopée d'un instrument à l'autre, sans trop appuyer la rythmique. Bref, un boléro moins espagnol qu'il ne serait dansé par une très lascivement orientale Schéhérazade. Cela dit, s'il est vrai qu'il s'agit effectivement d'un ballet, on n'oubliera pas non plus que l'immense fierté du compositeur fut d'entendre siffler ça par un ouvrier dans la rue. Alors, faites-en autant (une jolie fille passe...) et vous aurez spontanément l'idée du bon tempo, dans le medium : ni trop rapide (pour rester dansable), ni trop lent (tendance gai pinson). Beau moment enfin, ce Tzigane, versant lumineux de l'atavisme Europe centrale de Ravel. A cette musique d'un peuple fier et cambré, le violoniste donne moins de sauvagitude énervée que toute l'ampleur de sa noblesse native. Et à son entrée, l'orchestre – presque autant que dans la version avec piano – rend bien cette sonorité qu'on dirait d'un cymbalum. Aussi possiblement un petit côté hébraïque ou mieux : Klezmer. (Gilles-Daniel Percet)

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