 Indubitablement du beau piano, élégant, profond et bourru lorsqu'il le faut. Ilya Yakushev en a sous la pédale. Lisibilité des voix, dynamique, pulpe. Indissociables au répertoire qu'il défend. Les trois sonates de Prokofiev sont éloignées les unes des autres. L'Op. 28 est une œuvre de jeunesse, les 6 et 7 sont des œuvres de maturité, manque la Huitième avec laquelle elles composaient une trilogie « des années de guerre ». Le Tempestoso de la troisième sonate est abordé franchement, vagues arpègées qui finissent en écume d'accords sourds, reprise de triple croches caracolantes, les thèmes s'enchaînant, déconstruisant la forme sonate en un seul moment. Le tout maintenu par le pianiste dans un flux colérique et furieux. Percussif, feraillant et bavard, le piano de Prokofiev suit toujours une narration préétablie. Dans la 6ème, le balancement majeur mineur constamment en déséquilibre évoque l'angoisse des soldats, suivi de clusters et d'accords en staccato : marche de tanks et de bataillons armés, cratères fumants, éblouissement des éclairs d'obus. Yakushev mitraille son clavier, extirpant de l'instrument les sons les plus inouïs (Precipitato de l'Op.83). Orchestral à la façon d'Ivan le Terrible. La valse viennoise (Lentissimo) oscillante puis titubante est d'un comique irrésistible et suppure d'ironie. Maitrisant excellement son répertoire, le pianiste russe est capable de réfléchir dans l'action sur la stratégie à avoir. L'Allegro inquiéto de la Septième est colorisé comme au cinéma, le caloroso lourd et famélique. Cette spectaculaire musique pourrait si bien s'évaporer, n'être qu'une buée contingente et fastidieuse, Ilya Yakushev la scénarise, la met en scène, la rend présente et objective. Raccroche les morceaux disloqués, la locomotive aux wagons. Ce disque est le début d'une intégrale. Saluons l'intelligence et la réactivité enthousiasmante de l'interprétation. Magistral sans aucun doute. (Jérôme Angouillant)
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