Michael Gielen aura passé toute la dernière partie de sa carrière à la tête d’un orchestre de radio, ce qui lui vaut aujourd’hui de nous laisser un conséquent héritage enregistré, archives d’un état de finition impeccable. Au SWR, ex-Südwestfunk, chaque nouveau projet d’enregistrement se doit d’être longuement rodé en studio et en concert avant d’être archivé, sous forme de bandes radiophoniques d’une qualité indiscutablement discographique. Ce fonds sert en permanence à la diffusion des programmes, et plus ponctuellement a été récupéré sous licence par divers éditeurs, le dernier et le plus exhaustif en la matière restant Hänssler Classic.

Le revers de ces conditions de travail minutieuses, devenues un véritable luxe aujourd’hui, est qu’une œuvre est rarement remise sur le métier deux fois, et certainement pas par le même chef. Michael Gielen a eu l’occasion d’enregistrer le ballet intégral de Daphnis et Chloé en 1997, témoignage inabouti qu’il aurait été important de transformer en réussite à l’occasion d’une nouvelle tentative dix années plus tard. Hélas, dans cette compilation en plusieurs volumes intitulée « Les ballets russes », c’est à nouveau la même bande que l’on retrouve, exactement dans l’état où on avait déjà pu la découvrir il y a quelques années sous étiquette Ars Musica.

On n’entend rien de déshonorant dans ce Daphnis, comme on peut l’imaginer, et la qualité de facture habituelle à l’orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg est bien au rendez-vous (la transparence, l’assurance d’intonation des premiers pupitres et la finition d’ensemble sont caractéristiques). En revanche l’effectif choral, composé d’étudiants de bon niveau en provenance d’universités de l’Europe entière, n’est pas d’une homogénéité et d’un dynamisme exceptionnels. Quant à la précision et l’absence de sensualité délibérée du chef, elles ne valorisent pas la musique de Ravel à son maximum de rayonnement, avec des transitions trop sèches, qui manquent du minimum vital de respiration. La Grèce antique vue par Michael Gielen paraît hiératique et calcinée, comme si ce chef à l’approche délibérément cérébrale n’avait pas perçu tous les niveaux de lecture possibles de l’œuvre, un manque que l’on ne retrouve en revanche ni chez Boulez dernière manière ni chez Ansermet, pour s’en tenir à deux autres baguettes réputées davantage calculatrices que dionysiaques. En l’état cette version, même frustrante, reste intéressante à connaître, au moins à titre de complément, d’élément subsidiaire dans le portait musical exhaustif d’un chef particulièrement intéressant. Mais malheureusement, dans un paysage discographique particulièrement riche elle n’est pas davantage recommandable.

En complément, des Biches d’une gouaille paisiblement amortie, pilotées par le regretté Marcello Viotti, peu décidé à jouer les boute-en-train ce jour-là : une publication réservée aux fidèles de Michael Gielen uniquement.