Opus Kura poursuit sa réédition de disques jadis gravés par Herbert von Karajan (1908-1989) avec l’Orchestre Philharmonia pour la firme Columbia. A l’image du volume consacré aux intermezzi et ouvertures d’opéras (lire ici), on comprend mal l’intérêt de l’entreprise puisque ces enregistrements existent déjà sur le marché (commercialisés pour la plupart sous le label EMI) dans un habillage sonore et informatif beaucoup plus attrayant.

En tout état de cause, voici donc un disque qui reflète en partie l’éclectisme de Karajan puisqu’il rassemble d’une part plusieurs œuvres légères dont la seule véritable vocation est de faire briller un orchestre symphonique et, d’autre part, la Deuxième suite de la Water music que le chef autrichien dirigea à maintes reprises au cours de sa carrière, témoignage de son attachement réel pour une (petite) partie du répertoire baroque. Le présent enregistrement de la Water music a débuté en décembre 1951. En raison de divers problèmes, celui-ci a été interrompu et s’est achevé en juillet 1952, après que Karajan eut rodé l’œuvre au cours d’une tournée européenne avec l’Orchestre Philharmonia en mai 1952, où elle fut notamment jouée à Londres le 9 mai puis à Turin, encadrée à chaque fois par Jeux de cartes de Stravinsky et la Première symphonie de Brahms. L’interprétation prête aujourd’hui à sourire : bien que l’Allegro soit conduit avec une très grande vélocité et un sens aigu des contrastes tant du point de vue du rythme que des nuances, l’Orchestre Philharmonia (où se distinguent les cornistes Dennis Brain et Neill Sanders) se révèle rapidement trop massif. En outre, notamment dans l’Air, Karajan abuse du legato alors qu’il a parfois su éviter ce travers – on écoutera ainsi un très convaincant Concerto grosso opus 6 n° 12 à la tête de l’Orchestre symphonique de Vienne lors d’un concert donné au Musikverein le 17 novembre 1954 (Orfeo). Ce témoignage peut donc être oublié sans regret.

Les autres œuvres présentées relèvent du goût constant que Karajan a manifesté pour les pièces de tonalité légère où la musique n’est synonyme que de divertissement. Certaines pièces font d’ailleurs figure de véritables leitmotivs au cours de sa carrière, à commencer par les trois œuvres de Johann Strauss père et fils et, dans une moindre mesure, de la célébrissime Cavalerie légère de Franz von Suppé dont la vidéo nous donne par ailleurs un superbe témoignage lors du concert de la Saint-Sylvestre 1978 capté à la Philharmonie de Berlin (lire ici). Ces différents morceaux sont tous surpassés par les enregistrements ultérieurs de Karajan , ainsi, pour Strauss, on se reportera évidemment au Concert du Nouvel An 1987 ou à divers témoignages disponibles notamment dans l’anthologie consacrée au chef par Decca. Par ailleurs, en ce qui concerne Chabrier, mieux vaut se tourner vers la gravure qu’il a laissée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne en décembre 1947 (le disque, couplé avec une violente Symphonie « Pathétique », ayant été publié dans la « Karajan Edition » chez EMI), plus espiègle et plus parfaite dans les détails. On écoutera néanmoins ici avec intérêt la Joyeuse marche, adaptation pour orchestre réalisée en 1888 d’une pièce initialement dévolue au piano à quatre mains (Prélude et Marche française, 1883) : c’est l’unique enregistrement de cette pièce réalisé par Karajan. Tel un bonbon sucré qu’on se plaît à racheter chaque année au moment des fêtes de Noël, on écoutera également la délicieuse Valse des patineurs dont on rappellera que l’auteur, Emile Waldteufel (1837-1915), était de nationalité française, puisque ses racines étaient alsaciennes.

A l’exemple du volume consacré aux ouvertures et intermezzi et compte tenu des multiples réserves que l’on peut exprimer, la conclusion est évidente : nullement indispensable, ce disque est avant tout destiné aux inconditionnels de Karajan.