 La grande pianiste russe Tatiana Nikolayeva reste mémorable dans la musique pour piano de Chostakovitch, et notamment dans le cycle des Préludes et Fugues op.87, qui a été composé pour elle par le compositeur après le Concours Bach de 1950 à Leipzig. Le label anglais Regis décidait il y a quelques années de rééditer son second enregistrement du recueil chez Melodiya, en 1987, année durant laquelle elle donnait par ailleurs en concert à Salzbourg des visions bouleversantes de certaines pages du recueil (Orfeo). Inexplicablement, ici au studio, la pianiste fait peu jaillir l’expressivité qui anime ces diptyques, marqués souvent par l’angoisse, le désespoir ou l’absence d’un bonheur possible (Préludes et fugues N°4, 6, 15). Les phrasés, les accentuations demeurent à mon sens d’une moindre subtilité, le rythme d’une moindre fermeté, et indéniablement le toucher parait moins accompli, sans cette lumière cristalline souvent inoubliable chez la pianiste (cf. ses nombreux Bach enregistrés pour Melodiya, comme les Suites françaises, en 1984 !). Cet enregistrement des Préludes et Fugues op.87 de Chostakovitch expose le visage noir de la musicienne, dans ses moments de doute, où l’idée même d’une rémission ou d’une libération d’énergie parait impossible. Cet album un peu froid n’est-il pas en définitive fidèle à l’esprit d’une musique, conçue comme résistance à une oppression politique ? En 1991, Tatiana Nikolayeva grava une troisième intégrale de ce recueil étonnant pour Hyperion, d’une meilleure réputation, car d’une plus grande et indicible poésie. (Pierre-Yves Lascar)

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