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Chostakovitch : L'intégrale des Quatuors à cordes. Mandelring.
par Percet GILLES-DANIEL Date d'ajout : mardi 17 juin 2014
Dans un monde alors fait au fer et au sang (comme chanterait Golaud), mesure-t-on bien aujourd'hui à quelle terreur quotidienne également civile dut si impossiblement résister Chosta? Qui déjà avait eu le tort d'afficher son amitié (comme toute la vraie intelligentsia de l'époque) avec le très glorieux maréchal Toukhatchevski, que Staline fit abattre par pure jalousie d'amour-propre. Et puis, dès le début, il y eut cet opéra, Lady Mcbeth, où le tyran crut se reconnaître en caricature. Il quitta la salle en plein milieu, silence d'effroi. Le compositeur d'une musique aussi formaliste, petit-bourgeoise et anti-prolétarienne n'échappa pas à l'assassinat dès le lendemain... mais seulement de papier, dans la presse déjà jdanovienne du parti.

Il n'empêche. La même intelligentsia avait pris l'habitude de dormir à la maison vraiment la petite valise en carton sous le lit. Prête à suivre la police politique secrète faisant irruption à l'heure du laitier, sans espoir de retour. Un matin, Chosta trouve son immeuble bien silencieux. Il fait le tour des appartements : il n'était plus que tout seul! Il reçoit enfin "sa" convocation au KGB. Il s'y rend avec son baluchon probablement inutile, ça finissait ordinairement par une balle dans la nuque au fin fond glauque des caves. Incroyable, il dérangeait, on vous rappellera. On saura plus tard que le colonel qui l'avait convoqué - le vent tournait vite, totalement au hasard - venait juste d'y passer le premier!

Voilà ce qu'il faut garder à l'esprit en écoutant cette musique majoritairement terrible et grinçante. Encore une fois remarquables (connaître aussi leur Janacek), les Mandelring nous la rend à la perfection (par exemple, ce troisième quatuor, impaclable mais parfois allusif, voire ironique). Avec les plages de secrète humanité qui conviennent ici ou là, comme dans le deuxième (son adagio d'une qualité lyrique et méditative exceptionnelle, enchaîné à un mouvement suivant frémissant où point une mélodie orthodoxe peut-être, hébraïque plus sûrement : comme Ravel, Chosta aimait cette culture, et ne partageait en rien l'antisémitisme latent qui était consubstantiel au stalinisme).

Comme de bien entendu, on attendait surtout le plus célèbre de ces quatuors, le huitième, absolu chef d'oeuvre toutefois écrit très vite. C'est la consternation, la désolation absolue devant la ville de Dresde rasée avec tous ses habitants par les bombes incendiaires anglaises. Point d'objectif militaire, mais un coup psychologique ultime contre le nazisme déjà à genoux (un "petit" Hiroshima, en somme). Et là, nos admirables interprètes nous plongent dans un véritable enfer, que prolonge la commisération affligée d'une cantilène divine qui aurait pitié du coeur des hommes (comme chanterait Arkel).

Résumons. Cette intégrale est la meilleure récente avec celle des Danel. Chez les plus anciens, la référence demeure naturellement les Borodine. Historiquement, connaître les Beethoven, qui à l'époque créèrent presque tout sous la supervision du compositeur (mais, chronologie oblige, en s'arrêtant au quatorzième). Savoir toutefois que de son vivant, Chosta avait d'abord pensé à des créations par le quatuor Borodine de l'époque, avec Rostislav Dubinsky au premier violon. Dans ses mémoires, celui-ci nous a révélé que cela n'avait pu se faire, pour la simple raison qu'étant juifs, le régime ne les avait pas, si l'on peut dire, en odeur de sainteté.

Gilles-Daniel PERCET

Classement : 5 sur 5 étoiles ! [5 sur 5 étoiles !]
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