 Enfin ! Hors l'ombrage rassurant des marronniers du genre, voilà tout un récital violon-piano imaginatif, intelligent et sensible, dont le fil thématique est l'enfance : œuvres écrites par elle (précoce Mozart), pour elle (comme exécutante : Dolzhenko) ou lui étant dédiées, via le souvenir de la figure maternelle ou les réminiscences propres aux interprètes. On a affaire ici à un excellent duo russe, mais où curieusement s'inverse le rapport ordinaire du yin et du yang. Car c'est l'homme, au violon, qui – retrouvant toutefois enfin toute son énergie à la conclusion du Bartok puis pour Enesco - semble jouer comme en deça, dans une émission un peu frêle et petit bras, se projetant peu, au point qu'on aurait presque souhaité la voir contrebalancée à la prise de son. Une impression de l'auditeur qu'augmente un certain manque également d'éclat virtuose dans le Schubert (des variations sur la Belle Meunière) : la première variation, et surtout la cinquième d'une presque transparence arachnéenne dans sa modestie de violette. Tant et si bien qu'on se demande parfois, en exagérant un peu, si l'on n'a pas affaire à une musique ancienne pour piano avec accompagnement de violon. Cela reste toutefois très beau, jusqu'à tourner même à l'avantage de l'œuvre, comme dans cette troisième danse populaire roumaine de Bartok qui finit par nous faire verser dans une sorte d'onirisme évaporé, au bout du compte assez séduisant, et qui n'est pas sans nous rapprocher justement de l'idiosyncrasie d'Enesco, qui suit dans l'ordre de cet enregistrement. Concernant la référence à l'enfance, sa justification n'est pas toujours évidente (pas davantage que l'affirmation du violoniste dans le livret, selon laquelle le propre de Schubert serait de n'avoir jamais pu intégrer le monde adulte). Ainsi à propos de la sonate de Janacek... qui bien davantage peut être considérée comme une sonate de guerre (celle de 1914). Mais son fameux Nigun (improvisation formant la deuxième partie de la suite Baal Shem), Ernest Bloch le dédicaça à sa mère. A ce propos, justement, plutôt que cette sonate de la toute prime jeunesse de Mozart, nous aurions infiniment préféré la déchirante K. 304 en deux mouvements, écrite dans le droit fil d'un désastreux séjour parisien et surtout de la mort de sa mère (deuil maternel, ce trait d'union entre Mozart, Bartok et Ravel...). Et puis, ce récital inclut des transcriptions de cinq mélodies de Prokofiev pour voix et piano, brièvement de Falla, et surtout donc Enesco. Avec ses Impressions d'enfance, notre plus roumain des parisiens est là dans son abstraction ultime, poussant encore davantage à bout le folklorisme sublimé de sa troisième sonate violon-piano, laquelle demeure cependant à nos oreilles le plus absolu chef d'œuvre de ce compositeur. Dernière observation bassement matérielle. Pour deux SACD au prix en conséquence passablement trébuchant, on pouvait quand même nous donner pratiquement une heure de musique en plus. D'autant qu'en cette occurrence, on en redemandait ! (Gilles-Daniel Percet)

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