 La génération des compositeurs pianistes nés en 1810 a connu des fortunes variées… L’intérêt de l’enregistrement proposé par Ulrich Roman Murtfeld, sur l’idée de ce grand schumannien qu’est le Dr Joachim Draheim (cf. l’intégrale Schumann réalisée par Florian Uhlig, Clic Mag n° 111, Janvier 2023, sous la plume experte de Jean-Charles Hoeffelé), est de rassembler, autour de ces deux phares aux esthétiques et destin si différents que sont Chopin et Schumann, les noms oubliés de Burgmüller 1810-1836) et Schuncke (1810-1834), non que ceux-ci n’aient déjà bénéficié de quelques enregistrements nous les rappelant à l’attention, mais parce que ces derniers méritent — pour au moins une part de leur production — d’être réinstitués parmi leurs contemporains plus célébrés. La brièveté des existences de Burgmüller et Schuncke — Schumann pourrait presque paraître un patriarche auprès d’eux ! — ainsi que la fugacité de leurs renommées passent pour être de plausibles facteurs explicatifs de l’oubli dans lequel ils sont tombés. Mais ce n’est sans doute pas suffisant. Défendues avec conviction et sensibilité par Ulrich Roman Murtfeld, leurs œuvres retiennent vite l’attention, à l’égal des enregistrements antérieurs de Tobias Koch ou Eckhardt Selheim pour Burgmüller, de Gregor Weichert, Sylviane Deferne ou Tatiana Lariolova pour Schuncke. Probablement l’alcool et l’épilepsie abrégèrent la vie de Norbert Burgmüller, comme la tuberculose celle de Louis Schuncke. Il ne reste pas moins que les quelques spécimens de leurs productions, interprétés ici avec grand talent, ne déméritent absolument pas au regard des œuvres de jeunesse de Chopin et de Schumann. On peut, certes, toujours se poser la question de ce que leur créativité leur aurait permis de composer, leur eût-il été accordé un destin plus favorable ? Reste que la Rhapsodie en Si mineur op. 13 de Burgmüller, avec ses tourments et sa bipolarité très schumanienne, le Scherzo capriccioso de Schuncke, en premier enregistrement mondial, empreint des ardeurs mendelssohniennes toujours très policées, ou "Das Heimweh", aux modulations et inflexions schubertiennes, soutiennent ici la comparaison avec les premières pages célèbres des catalogues de Chopin et Schumann qu’Ulrich Roman Murtfeld propose avec gout et aplomb. Un enregistrement de qualité musicale indéniable qui permet de confronter intelligemment et utilement les "majores et minores" de l’histoire de la musique. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)
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