Les compositeurs du XXIe siècle se tournent volontiers vers le genre concertant en particulier avec violoncelle. Depuis l’an 2000, la France, est déjà riche de plusieurs concertos, notamment ceux d’Amy, Durieux, Mantovani, Monnet ou Schoeller. Se joint à eux une figure emblématique de l’école espagnole actuelle, Luis de Pablo (né en 1930). Composé pour le centenaire de l’Orchestre symphonique de Madrid en 2003, son beau concerto pour violoncelle tire son essence du poème Corazón penumbroso de Juan Gil-Albert (1904-1994), une métaphore de la mort à laquelle il doit son titre évocateur Frondoso misterio, mystère profond. Des sept sections enchaînées, six, aux allures groupées, reproduisent le schéma vif-lent-vif du concerto classique avec courte cadence, la septième, un commiato méditatif, déferlant en une coda perdendosi pénétrée de sens.

La présence du violoncelle s’impose en continu, faisant de lui, peut-être, un être symbolique en quête du sens de la vie et de la mort, inquiet, agité, ténébreux, mystérieux ou lyrique. Dédicataire de l’œuvre, Asier Polo, Basque comme l’orchestre et comme de Pablo lui-même, traite les frappantes oscillations entre mouvement perpétuel et statisme avec une énergie percutante et une expressivité poignante et poétique. Son jeu intériorisé devient l’âme du concerto, soutenu par le discours en parallèle de l’orchestre, dont la polyphonie complexe joue, dans une apparente tonalité, sur la subtilité des timbres, sur les contrastes rythmiques et sur une dynamique parfois suspensive.

L’œuvre, reprise par la suite en 2007 pour célébrer les quarante ans de l’Orchestre de Paris qui donnait carte blanche à Henri Dutilleux, fête ici un troisième orchestre en compagnie d’une symphonie concertante pour harpe qui n’en porte pas officiellement le nom. Danzas secretas, commande de l’Orchestre symphonique d’Euskadi, fut créée à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’orchestre en mars 2008.

Le pluriel danzas évoque les quatre mouvements mais il ne s’agit nullement de mouvements de danse proprement dite mais plutôt de l’esprit de la danse, la harpe instrumentalisant un orchestre complice qui se fait son miroir ou son ombre, sa résonance ou sa prolongation. La danse ne s’affirme jamais tout à fait : elle se tient dissimulée à l’image du titre du premier mouvement, «Escondida», mystiquement immobile à l’image du deuxième, «Immovíl», ou encore «Oscura» ou «Absorta» mais sa grâce ou sa frénésie anime les rythmes ambigus, propulse les motifs-clefs et affine les couleurs tout en sublimant les qualités naturelles de la harpe. Exigeant sur le plan technique, le compositeur obtient un bel équilibre entre l’instrument soliste et l’orchestre, celui-ci jamais déployé à plein effectif et à pleine puissance mais changeant d’étoffe et de caractère au gré de l’humeur de la harpe grâce aux sonorités distinctives de différents instruments et groupes instrumentaux savamment mises en œuvre. La sensibilité et l’adresse épanouie de la soliste Frédérique Cambreling trouvent un soutien idéal en la clarté de la direction d’Arturo Tamayo à la tête d’un Orchestre symphonique d’Euskadi dont l’engagement n’est pas à mettre en doute.

Il s’agit de deux des œuvres maîtresses de Luis de Pablo en ce début de siècle et on ne peut trop recommander l’écoute de cette belle version convaincue.