 Discret, et un peu trop rare au disque, Michel Kiener, servi par un très bel instrument aux graves somptueux nous livre ici une superbe et passionnante interprétation du Clavecin bien tempéré. Dès les premières notes du 1er prélude en ut majeur du 1er livre on sent qu’on est loin de toute abstraction, et de toute sécheresse, tant transparaît le sens de l'arabesque, de la flexion, du modelé . L'architecture de chaque prélude et de chaque fugue, sa singularité est, tout au long du parcours de l'œuvre mise en valeur avec une sorte de naturel confondant servi pourtant en sous-main par une prodigieuse science du texte. Le jeu semble comme mimer le geste même d'écriture du compositeur : comme si l'œuvre se composait pour nous, devant nous, s'imposait comme en s'improvisant au moment même où elle se déploie dans une clarté émergeant parfois d'une impalpable profondeur. C'est particulièrement frappant et sensible dans certains débuts lents où s'égrène une série de notes chromatiques préparant, comme de façon erratique à l'installation dans la tonalité (fugue .857, fugue 869 ). Le feuilletage des voix, les contrastes, les tensions, tout s'expose et s'offre à travers un jeu admirablement articulé, ciselé, une dynamique (mais aussi un dynamisme et un engagement) idéalement adaptés à chaque pièce. Superbe rendu des détachements de notes, de l'indépendance des voix et des superpositions dans la fugue 889, du caractère allant, décidé, entêtant, du prélude 875, de l'enjouement du couple 848-849, du flux coulant et rapide de la fugue 873, de l'aspect sautillant de la fugue 872 et de la 876, magnifiques couleurs de l'espèce de ritournelle du prélude 871 des «cascades » du prélude 886. On multiplierait les exemples. À écouter et à réécouter d'urgence ! (Bertrand Abraham)

|