Schoenberg Gurre-Lieder Fritz Magee Larsson Marquard Ablinger-Sperrhacke Melles Albrecht Audi

Donne à voir le théâtre fantastique et "tristanesque" des Gurre-Lieder, voici un pari qui jusque là, à ma connaissance, n’avait pas été tenté. Pourtant les références à Tristan, l’échange des lieder amoureux de la première partie, la puissance des gestes dramatiques à compter du Chant du ramier, et l’intrusion de ce vrai personnage de théâtre qu’est le Sprecher y incitaient les metteurs en scène depuis la création de l’œuvre le 23 février 1913 à Vienne. Gageons que Schoenberg lui-même dû songer à la dimension théâtrale de sa symphonie-monde. Pierre Audi a donc osé et sa régie est une réussite incontestable, appuyée autant sur la musique de Schoenberg où l’émotion affleure sans cesse, que sur l’univers du poème de Jacobsen et son symbolisme décadent. Mais si son geste dramatique est toujours calqué sur la musique, ses choix esthétique replacent la partition dans le contexte historique de sa création : l’œuvre danse au dessus du volcan de la Grande Guerre qui va bientôt imploser, le château de Waldemar est un immense hall industriel dévoré par une végétation sauvage, l’imminence du conflit indiqué par l’omniprésence du personnage de Klaus Narr- génialement campé par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, en tenue militaire d’un inquiétant blanc immaculé. Sur ce monde en train de s’écrouler, les amants, dans leur grand lit blanc perdu dans l’immensité du plateau sont comme sur une ile proche d’être engloutie. Le spectacle est d’une complexité assez inouïe, plus d’une fois la vidéo le peuple de fantômes, en délave les décors, il offre des niveaux de lectures différents, qui parfois se télescopent. Sommet de la production, la Wilde Jagd où le plateau se trouve envahit d’une armada dantesque. Hélas, le couple des amants manque un rien de charme, pour le physique quant au Waldemar solide vocalement de B urkhard Fritz, de timbre et d’élan pour la Tove bien chantée mais sans vrai sensualité d’Emily Mage. Anne Larsson peine dans le grand chant du Ramier (surtout pour garde dans l’oreille Janet Baker ou Brigitte Fassbaender) mais l’incarne magnifiquement, ange noir qu’Audi place dans un rappel de la Visitation de Fra Angelico, et péché mortel Sunny Melles masscare son Sprecher, hystérique, incapable de tenir les hauteurs. Sur ce plateau difficile, Marc Albrecht déploie tous les sombres sortilèges de l’orchestre de Schoenberg que je n’avais pas entendu si lyrique, si "tristanesque" depuis celui qu’y composait pour la radio Danoise Janos Ferencsik. Ne serait-ce que pour sa direction vous devez entendre, et voir, ce spectacle fascinant (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)