Trois oeuvres différentes d’effectif, de conception et de forme : trois oeuvres qui, en peu de temps et à quelques années de sa mort accidentelle, assurent à César Franck le succès public et le statut officiel qu’il a tant attendus. Qu’importe si elles ne trônent plus parmi les « scies » des concerts dominicaux! Le musicien s’y montre à son sommet, passant au crible trois formes qu’il magnifie et détourne à la fois : « grand, personnel, synthétique », comme l’écrira son élève Charles Tournemire. 1886 : en quelques mois, César Franck compose les Variations symphoniques pour piano et orchestre, le Prélude, choral et fugue et le Prélude, aria et finale pour piano, la Sonate pour violon et piano. C’est le grand retour à son instrument d’origine, le piano. Les Variations symphoniques, en un quart d’heure environ, font un sort au concerto. La forme tripartite enchâsse le « thème et variations » proprement dit entre une vaste introduction et un finale brillant qui, à leur manière, ne cessent de varier, eux aussi, le thème populaire de « cramignon » liégeois qu’on ne reconnaît que pour conclure : des variations sur la variation. Et le piano ? destiné à Louis Diémer, il est « symphonique » par sa virtuosité concertante, qui se souvient des étincelles que le jeune Franck déployait dans ses premiers trios et variations brillantes ; mais « symphonique » aussi parce que complètement intégré à l’orchestre, et jusqu’à se faire l’amoureux accompagnateur de violoncelles et contrebasses extatiques ou caverneux. Non moins symphonique, la sonate dont le violoniste belge Eugène Ysaÿe assura la célébrité. En quatre mouvements – ceux d’une symphonie – les deux instruments se partagent les rôles comme s’ils en jouaient une réduction : au piano, l’espace sonore couvert en arpèges conquérants, la pâte quasi orchestrale ; au violon, les thèmes inoubliables, à la fois unitaires et contrastés, qui dessinent un espace tout aussi vaste par la seule puissance mélodique. Quoi d’étonnant à ce que le canon final, si prégnant, ait été l’un des modèles de la « petite phrase » dont Proust signe la sonate de Vinteuil ? Et la symphonie elle-même ? Célébrée puis boudée, la force de cette partition de 1888 en impose, non sans quelque didactisme. Saint-Saëns, qui a devancé nombre des inventions de l’oeuvre, esquivait ces répétitions sur lesquelles Franck, lui, se fonde dès le début : « un tel procédé a l’avantage de fixer l’idée principale dans les cervelles les plus récalcitrantes, et celui de nous régaler deux fois de l’admirable passage où le thème gronde sourdement (basson, cor et clarinette basse) sous le trémolo des cordes », plaide, amusé, le critique Willy. Le tout pour une « oeuvre de forgeron plus que de statuaire, faite de pièces battues à froid, soudées et repoussées au marteau », écrit en 1893 dans la Revue bleue René de Récy, qui trouve « les imperfections rachetées par la sincérité, le sérieux, la profondeur, le mouvement et l’énergie » (Paul de Louit).
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